Si les enjeux du BIM sont de mieux en mieux appréhendés par les différents acteurs
du monde de la construction, ils ne se saisissent pas encore massivement de ce nouvel
outil. Cette table ronde a voulu évaluer le niveau d’appropriation du BIM, les freins qui
persistent et les usages futurs qui pourraient se développer.
Table rondeNantes
Partage d’expérience côté maîtrise d’ouvrage
Le Conseil régional des Pays de Loire s’est lancé dans le BIM pour enrichir sa base de données, relative aux 115 lycées de son patrimoine : « En 2018, nous avons fait modéliser le lycée Michelet, à Nantes, a exposé Hervé Baribaud, BIM Manager à la Région. La 3D nous permet d’avoir les coupes et les façades. » Avec pour avantage de pouvoir les transmettre aux architectes et bureaux d’études avec lesquels travaille la Région ; mais avec pour crainte de rencontrer des problèmes d’interopérabilité et de subir des pertes de données. La modélisation des 114 autres lycées de la région, prévue dans les cinq ans qui viennent, sera l’occasion d’amorcer la mise en oeuvre « d’une petite GMAO », a ajouté Hervé Baribaud : « Il s’agira de gérer les chaudières, les ascenseurs, le gros équipement de cuisine, pour remplacer les nombreux fichiers Excel que nous utilisons. » Quant à atteindre un niveau de détail plus important, cela ne sera possible que pour les lycées neufs. Globalement satisfait des avancées accomplies, le BIM Manager a toutefois manifesté une certaine inquiétude relative à la difficulté de mettre à jour les données BIM.
Témoignages de la maîtrise d’oeuvre
Point clé de la réussite du BIM, « la mise à jour est primordiale, a reconnu, Emeline Gautier-Bret, ingénieure étude et coordonnatrice BIM, chez AIA Management. Quand on a une maquette, il faut faire le tri des paramètres sélectionnés pour être toujours en capacité de mettre à jour les informations correspondantes. » Un objectif atteignable, selon Pierre Roux, chargé d’affaires chez FLUDITEC, y compris pour les petites entreprises : « Je pense à une entreprise de CVC du Morbihan qui utilise la maquette pour prédécouper ses gaines, poser ses fixations en amont sur le chantier, avec des lasers issus de la maquette. Cette entreprise a ainsi optimisé ses coûts et ses délais. » Un arbre qui cache, cependant, une forêt d’entreprises qui hésitent à se lancer dans le BIM, faute de moyens et de temps. « Les délais imposés ne sont pas tenables en exécution, a souligné Pierre Roux. Il faut se rendre compte qu’en 3D, intervenir sur un étage a des impacts sur tous les niveaux ! »
L’enjeu de la formation
Comme beaucoup d’acteurs du bâtiment, FLUDITEC utilise surtout la maquette BIM, pas encore ses applications collaboratives, longtemps sous-estimées, y compris par les organismes de formation. « Nos premières offres se concentraient sur l’utilisation des logiciels, oubliant l’aspect collaboratif, a reconnu Laurent Bompas, conseiller formation, OPCO ATLAS Grand Ouest. Maintenant, nous avons ajouté un module supplémentaire. » Cela suffit-il ? Pas vraiment, d’après le conseiller formation qui envisage des modules d’apprentissage différents : « Est-ce que cela doit s’apprendre en salle de formation avec des cas pratiques ou sur le terrain, avec de vrais projets ? » a interrogé Laurent Bompas. « La loi permet aujourd’hui de tester de nouvelles modalités pédagogiques, a t-il fait remarquer, nous devons innover avec des temps d’apprentissage du BIM sur des situations réelles de travail. »
Usages à venir : prospective
Exploitation-maintenance : comment aller plus loin ?
À l’heure actuelle, les maîtres d’ouvrage ne tirent pas suffisamment parti des opportunités de la maquette BIM, tel est le sentiment de Rami Chetoui, BIM Manager au sein de l’agence CUB Architecture : « Nous fournissons une maquette numérique pour la majorité de nos projets, a t-il indiqué, mais derrière, les maîtres d’ouvrage ne l’exploitent pas. Il faut qu’ils la valorisent en créant un lien avec l’exploitation-maintenance. » De quelle manière ? En définissant leurs besoins, « mais cela n’est pas inné, a reconnu Rami Chetoui. Une phase d’acculturation et de formation est nécessaire. » La formation, comme nerf de la guerre, une fois encore.
Le BIM au service de la transition énergétique
Réduire le bilan carbone des chantiers et des bâtiments, limiter leur consommation énergétique, préserver la biodiversité : le numérique en général et le BIM en particulier sont devenus les outils incontournables de la transition environnementale. C’est pourquoi « la plupart des solutions proposées dans le cadre de nos appels d’offre s’inscrivent dans la perspective de l’efficience énergétique », a noté Pierre-Yves Legrand, directeur de NOVABUILD. Ce qui exige de nouvelles façons de travailler : « Il faut impliquer les experts dès les premiers traits de l’architecte, a ainsi estimé Rami Chetoui. L’ingénieur environnemental amènera ainsi son expertise dès la phase esquisse. » Pour réussir le défi lancé par le plan de relance gouvernemental, qui consacre près de 7 mds d’euros à la rénovation énergétique, « nous avons absolument besoin de moyens technologiques », a insisté Emmanuel Di Giacomo, responsable Europe Développement des écosystèmes BIM chez Autodesk. BIM, drones, nouveaux matériaux sont indispensables pour tenir les objectifs d’un plan de rénovation massif. « Si les entreprises ne se saisissent pas de ces outils de productivité et d’efficience, a conclu Emmanuel Di Giacomo, nous n’y arriverons pas. »
Smart city et jumeau numérique : des objectifs de moyen et long terme
Le passage du « building smart » au « smart building », puis à la « smart city » constitue l’un des principaux « enjeux de connexion » de demain, aux yeux de Pierre-Yves Legrand. Cet objectif soulève de nombreux problèmes d’interopérabilité entre « les capteurs des bâtiments intelligents et les données du BIM plus statiques » a expliqué Emmanuel Di Giacomo. Confiant, cependant, dans les capacités d’adaptation et d’innovation de ses contemporains, ce dernier a souhaité porter son regard plus loin encore que la smart city, en présentant le concept de jumeau numérique : « L’avenir se situe au niveau du jumeau numérique, qui est le modèle digital d’un bâtiment, a décrit l’intervenant. Les capteurs virtuels qui se trouvent dans la maquette sont connectés aux capteurs réels du bâtiment, qui informent donc en temps réel ce jumeau numérique. » Densité de personnes dans les locaux, température et qualité de l’air, taux d’humidité… on mesure l’intérêt des informations recueillies ! « Le jumeau numérique, c’est l’enjeu de demain, a conclu Emmanuel Di Giacommo. Les Britanniques, avec leur programme « national digital twin » l’ont bien compris : ils réfléchissent à ce que devrait être un jumeau numérique du Royaume-Uni ».
Autour de la table
En tant que BIM Manager à la direction du
patrimoine immobilier du Conseil régional des
Pays de Loire, Hervé Baribaud a représenté la
maîtrise d’ouvrage, lors de cette table ronde ;
Emeline Gautier-Bret, ingénieure étude et
coordonnatrice BIM chez AIA Management, et
Pierre Roux, chargé d’affaires chez FLUDITEC,
ont fait part de leur expérience en tant que
membres de l’équipe de maîtrise d’oeuvre ;
et Laurent Bompas, de l’OPCO ATLAS Grand
Ouest, a donné le point de vue du secteur de
la formation.