Les acteurs de la construction doivent-ils tous, obligatoirement, aujourd’hui avoir recours
au BIM ? Alors que les premières expériences datent maintenant d’une dizaine d’années,
le recul permet de poser la question de façon objective. Et d’y répondre en examinant le
bilan technique, humain et comptable du BIM.
Table rondeRouen
De l’opportunité de mobiliser le BIM...
« On a beaucoup dit que le BIM était vertueux pour tous, a lancé d’emblée Olivier Celnik, professeur à l’école des Ponts Paris-Tech. Moi je mets en avant la notion de BIM égoïste, pour que chacun s’interroge sur l’apport du BIM pour lui, personnellement. » Car, pour que demain le BIM se généralise, il faut qu’il soit aujourd’hui utilisé à bon escient et que chacun y trouve son intérêt. « Le premier stade du BIM pour une entreprise n’est pas de faire une maquette, a donné pour exemple Olivier Celnik, mais que les entreprises soient capables de comprendre le projet et de faire une offre adaptée, en se servant d’une maquette. Pour cela, il suffit d’une courte formation. » Rien d’insurmontable, a priori. Il n’empêche, l’intérêt du BIM ne coule pas de source, pour tous. Après sept années de pratique, le bailleur social Immobilier 3F a pris la décision d’en limiter ses usages : « On a réduit le périmètre, résume Christophe Lheureux, directeur délégué à l’innovation. En conception, le BIM est redevenu optionnel, car les entreprises avec lesquelles nous travaillons ne sont pas encore matures, pour que ce soit efficace. » Une décision transitoire, en attendant la montée en compétence de tous les acteurs ? C’est possible, car pour bon nombre d’intervenants, le BIM ouvre des horizons proprement révolutionnaires, à différents stades : « La visualisation augmentée fait partie de la valeur ajoutée du BIM, a jugé Patrick Delaporte Arnal, gérant de Softloft management. Grâce à elle, le technicien, avec ses lunettes, accèdera à tout le processus d’entretien ! » Sans fermer la porte à ce type de perspective, Christophe Lheureux conseille prudence et patience dans le déploiement de la démarche, pour ne laisser personne sur le bord du chemin : « En tant que maître d’ouvrage, nous sommes capables d’entendre qu’un maître d’oeuvre démarre en BIM, a t-il insisté. Nous ajustons alors notre ambition, car on est dans un processus d’apprentissage collectif. Il ne faut pas oublier qu’on est au début d’une histoire. Il faudra une génération pour que le BIM relève tous les défis qu’on lui lance. » Et notamment le défi financier.
...au bilan comptable de son utilisation
« Pour que le BIM vaille le coup, il faut qu’il soit déployé de façon sobre et frugale, a imagé Olivier Celnik. Qu’il soit aussi correctement utilisé, ce qui nécessite des formations, qui ne constituent pas un coût, mais un investissement ! » Après avoir formé plus de 500 professionnels, depuis 2014, le directeur du mastère-spécialisé BIM, à l’école des Ponts Paris-Tech, est convaincu qu’il faut « savoir perdre un peu de temps à un moment « t » pour ensuite en gagner ! » Du temps et de l’argent, car depuis le lancement du REX BIM Tour en 2018, la question de la rentabilité du BIM s’invite à toutes les étapes. Le deuxième REX présenté à Rouen a d’ailleurs très clairement posé la question : « Cet exemple montre bien qu’en conception, il faut anticiper le coût du BIM manager, qui est de l’ordre de 1% du montant global du projet, a tranché Christophe Lheureux, et qu’il faut aussi prévoir une ligne budgétaire pour rémunérer la charge de travail liée à la maquette numérique et au niveau de détail demandé. » La rentabilité du BIM est-elle plus accessible en phase d’exploitation-maintenance ? « Pour le maître d’ouvrage et le gestionnaire que je suis, le BIM est un investissement à perte, a tranché Christophe Lheureux, directeur délégué à l’innovation à Immobilière 3F. Après avoir numérisé notre parc de logements en Île-de-France, on commence seulement à évaluer l’intérêt financier de cette base de données : nous économisons à peu près 500 000 € par an de non-recours à des géomètres, mais pour un investissement de départ de... 8 millions d’euros ! »
Du coût global à la rentabilité sociale
Bien que complexe, c’est la notion de coût global étendu qu’il faut appréhender, a défendu Mike Sissung, président Gestion conseil bâtiment : « Il faut calculer le coût global élémentaire, de la construction à la déconstruction, en intégrant tous les coûts futurs qui seront nécessaires pour maintenir votre patrimoine dans le marché. » Dans ce bilan, les investissements liés à la mise en oeuvre du BIM (équipements techniques, logiciels, formation...) devraient être considérés comme « des coûts de rattrapage de management d’une profession qui a des siècles de retard par rapport à l’industrie, a jugé Patrick Delaporte Arnal. Ce sont des coûts qu’on aurait déjà dû engager depuis longtemps et qui doivent être envisagés à long terme. » Avec cette approche prospective, c’est bien la question du sens qui prime, selon Olivier Celnik : « Il faut remettre les choses dans le bon ordre : la question du combien vient à la fin, celle du comment au milieu et celle du pourquoi au début. » Avec pour principale motivation, la rentabilité sociale du BIM : « Le BIM ça vaut le coup, grâce aux dépenses qui ne se feront pas, a analysé Mike Sissung, mais surtout en tant que moyen pour répondre aux contraintes environnementales qu’on va devoir affronter. » Un périmètre de facto très vaste.
Autour de la table
Ont participé à cette table ronde, Olivier
Celnik, directeur du mastère-spécialisé BIM à
l’école des Ponts Paris-Tech et l’ESTP, Patrick
Delaporte Arnal, administrateur de la fédération Cinov
Normandie, membre du GT BIM et gérant de
Softloft management, Christophe Lheureux,
directeur délégué à l’innovation et au
bâtiment intelligent au sein d’Immobilière 3F
et Mike Sissung, président de Gestion conseil
bâtiment.